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Jacques Argaud - Architecte - Expert près la cour d'appel de Rennes et la cour administrative d'appel de Nantes
9 juin 2013

La juste appréciation de la réparation

Propos tenus lors de mon intervention au congrès de la CFEC le 24 mai dernier étant précisé que la question était :

  • au regard des missions qui vous sont confiées, rencontrez-vous parfois des difficultés à déterminer le contour ou les limites de ce qu’il convient d’évaluer ?

Dans les expertises judiciaires, sur lesquelles mes confrères et moi-même avons à intervenir, il existe essentiellement 2 types d’évaluation, d’une part, celle liée au préjudice matériel direct en vue de mettre en œuvre les réparations propres à remédier aux dommages ; d’autre part, celle liées aux préjudices que je qualifie d’immatériel et/ou d’indirect, ces derniers étant bien souvent en rapport avec des troubles de jouissances et autres pertes d’exploitation.

Pour le dommage directement lié au sinistre, le contour est cadré par l’ordonnance laquelle fait elle-même référence à l’assignation (ou requête lorsque nous sommes dans une procédure administrative), document émis par le demandeur à une procédure judiciaire qui vise à énumérer l’ensemble des dommages dont il entend faire état en vue, bien entendu, d’en réclamer réparation. 

C’est donc par cette assignation (ou requête) que l’expert va prendre en compte tous les dommages pour, peut-être, en éliminer quelques-uns, c’est-à-dire ceux qui ne seraient pas avérés ou ne constitueraient pas un dommage en tant que tel. 

C’est donc in fine la liste des dommages avérés qui va déterminer le contour ou les limites de ce qu’il conviendra d’évaluer ; le cadre est donc relativement fermé, restreint. 

Pour se faire, qu’il soit désigné par une juridiction ou un mandant, l’expert se doit de demeurer un professionnel impartial, le dommage est ou non avéré, ce qui dans notre métier basé sur des faits matériels, est relativement simple et, il est rare que les techniciens réunis au cours d’une opération d’expertise ne soient pas d’accord sur les constatations.

 La divergence peut ensuite naître sur l’analyse du dommage, sa cause, son remède et son évaluation. 

Sur le chiffrage à proprement parler, en toute logique nous sommes face à des biens matériels dont l’évaluation peut aisément être valorisée en s’appuyant, soit sur des devis d’entreprise, soit sur un chiffrage à dire d’expert, lorsque les prix du marché pour réaliser la prestation sont connus de ce dernier.

Pour le dommage immatériel, il en est tout différemment et le contour de l’évaluation est, à mes yeux, bien plus délicat à déterminer. 

En effet, l’expert ne pourra apporter des éléments de réponse que si la partie qui invoque ce poste de préjudice, souvent la partie demanderesse, présente un état financier de son préjudice, à défaut de quoi l’expert ne pourra pas l’inventer

Tout comme les préjudices pour pertes d’exploitation, ceux liés à une perte de jouissance sont particulièrement difficiles à appréhender. 

Le contour est plus flou, plus sujet à débats ce qui, évidemment, ne manque pas d’arriver. 

Face à de telles situations, l’expert commis par le juge ne pourra qu’apporter son concours en vue de préciser une durée de chantier, une durée d’impossibilité de jouir d’une terrasse, ou tout autre pièce d’une maison par exemple, etc … 

Pour des pertes d’exploitation, ce qui nécessite le plus souvent de recourir à un sapiteur comptable, encore faut-il que le dommage ne se soit pas produit peu de temps après l’ouverture de la surface commerciale. 

En effet, si estimer une perte d’exploitation liée à une période de fermeture, exemple, pour une durée de 2 ou 3 de chantiers liée au temps nécessaire pour remédier aux désordres est relativement aisé pour un expert-comptable, estimer la même perte d’exploitation pour un établissement qui, hélas, subi des dommages tels que le fermeture est inéluctable alors que l’exploitation n’a que quelques mois d’ancienneté est bien plus difficile dans l’approche. 

J’en veux pour 1er exemple ce dossier 

  • ·         un établissement commercial est victime de dommages d’une telle intensité que de manière irrévocable l’exploitation n’est pas possible durant le temps des travaux ne serait-ce qu’au regard de la sécurité des personnes. L’établissement doit donc fermer, du fait, d’une part de l’importance des dommages avérés, d’autre part, de la durée du chantier, environ 1 an, et ce, hélas, quelques mois seulement après l’ouverture.

Comment va procéder l’expert-comptable pour délimiter le périmètre de son analyse ?  

Se baser sur les 3 derniers exercices est peine perdue, tout juste a-t-on en mains 3 mois d’exploitation ?

Se baser, sur les 3 derniers exercices de l’exploitant prédécesseur ? il y aura, à mon sens à juste raison, un avocat pour décrier une telle méthodologie d’analyse délimitée par un périmètre qui ne correspond pas à la réalité.

Se baser sur le plan comptable prévisionnel ? là encore, il y aura un avocat bien avisé pour dire que ce plan n’était qu’un prévisionnel, et de démontrer qu’il était bien optimiste et qu’au surplus, rien ne permet de démontrer qu’il allait se réaliser. 

Voilà donc une situation, bien réelle, par laquelle l’expert est dans l’impossibilité de définir le contour de son évaluation. 

Pour répondre néanmoins au juge, car il faut bien répondre, si l’expert ne sait pas le juge ne le sait encore moins puisqu’il entend s’appuyer sur l’expert, tout juste pourra-t-il être dit qu’il existe une perte de chance de réaliser le CA par le plan comptable sans être certain que celui-ci se serait déroulé comme initialement prévu. 

Dans un 2ème exemple, ces mêmes difficultés, à savoir, cerner les limites de ce qu’il convient d’évaluer sont prégnantes : 

  • ·         en l’espèce, nous sommes face à un dossier que tous les techniciens ont forcément un jour ou un autre rencontrer : je veux évoquer les pertes d’ensoleillement dont l’origine est à rechercher dans la construction d’un bâtiment d’une hauteur plus élevée que celui du plaignant. 

Le contour de l’évaluation d’une telle « perte » est, bien que dans un domaine différent que l’exemple précédent, tout aussi délicat à cerner d’autant que bien souvent les plaignants formulent des réclamations en total déconnexion avec la réalité. Mais où se situe cette réalité lorsque dès le mois de mai le propriétaire de la maison pouvait jouir de sa terrasse ensoleillée et que désormais cette dernière est située dans l’ombre portée de l’immeuble voisin ? 

Certes par des logiciels s’appuyant sur la course du soleil au fil des saisons, il est aisé de définir des % de pertes d’ensoleillement, mais ensuite, comment les valoriser ? Un % de perte d’ensoleillement vaut-il 1 € ? et pourquoi pas 10 € ou 100 € ? il n’existe aucune échelle de valeur et l’empirisme est alors de mise. 

Pour autant, comment justifier d’une décote de 30, voire 40 %, j’ai lu ces chiffres dans des dires d’avocats, alors que nous sommes en milieu urbanisé donc sujet à construction de plus grande hauteur ? Et pourtant, le trouble de jouissance est bien réel …

 Dans un 3ème et dernier exemple, les limites de ce qu’il convient d’évaluer sont encore plus indéfinies : 

  • ·         dans ce dossier, nous sommes face à une construction d’apparence de belle facture mise en vente au motif d’une mutation professionnelle. Un cas sommes toute banal, sauf que, peu de temps auparavant, il avait été détecté des malfaçons liées à la mise en œuvre de la charpente qui ont très rapidement entraîné de facto des fissures importantes sur les murs d’appui de la dite charpente.

Comment l’expert va-t-il pourvoir cerner le contour de son évaluation ? 

Sans aucun doute, l’avocat de la partie demanderesse va-t-il produire d’une part, l’estimatif de vente de cette construction en s’appuyant sur une agence immobilière, d’autre part, des attestations d’acquéreurs potentiels ayant décliné l’acquisition au motif de la présence du vice. 

Nous serons alors, me semble-t-il, en présence d’une perte de chance de vendre un bâtiment alors que celui-ci est affecté de vices.

Ainsi, on le voit, la mission de l’expert qui consiste à lui ordonner par un chef de mission de chiffrer les préjudices subis, pour ce qui est des dommages immatériels, le contour est souvent difficile à cerner, sans compter sur des parties qui ont des exigences démesurées par rapport au « dommage » ; à ce sujet, je pense qu’elles sont trop influencé par les séries américaines …

 

Enfin et pour conclure, au-delà des quelques exemples évoqués, il peut exister une réelle difficulté pour un dernier cas, celui du dommage certain mais néanmoins pas encore avéré. 

 

En effet, en présence d’une telle situation, pour l’expert, il n’est pas aisé de cerner le contour de l’ampleur des dommages au motif que ceux-ci ne sont pas encore réalisés. 

 

Habituellement, nous l’avons vu précédemment, face à un dommage matériel, il est relativement aisé de délimiter l’ampleur des dommages, en revanche, face à une telle situation, tout chiffrage ne pourra qu’être hypothétique avec toutes les marges d’erreurs que cela engendre.

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