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Jacques Argaud - Architecte - Expert près la cour d'appel de Rennes et la cour administrative d'appel de Nantes
30 décembre 2011

La réception des travaux - Sa portée - Comment bien la mettre en oeuvre ?

En fin de chantier, il est d’usage, surtout si la construction a été réalisée sous le contrôle d’un maître d’œuvre, de signer un procès verbal de réception.

La réception est “l'acte par lequel le maître d'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve“, suivant l’article 1792-6 du Code civil (inséré par l’article 2 de la loi nº 78-12 du 4 janvier 1978 -Journal Officiel du 5 janvier 1978- en vigueur le 1er janvier 1979).

Concrètement, il s’agit d’une réunion au cours de laquelle le maître de l’ouvrage, le maître d’oeuvre et les entreprises examinent l’ouvrage, en principe achevé, et constatent son état.

La mise en oeuvre de la réception des travaux doit respecter quelques formes afin d'éviter de futures désillusions pour les protagonistes, tant le maître de l'ouvrage, que l'entrepreneur ou encore le maître d'oeuvre.

En effet, trop souvent au cours de ses opérations d’expertise l’expert de justice est au regret de relever que les conditions d’exécution de la réception des travaux sont pour le moins douteuses.

Plusieurs cas de figure se rencontrent hélas souvent : 

1) il n’est pas rare de constater que le maître de l’ouvrage n’est pas en possession des PV régularisés lesquels sont en original en mains du seul maître d'oeuvre et il n’y a alors que moindre mal.

 

Mais si d’aventure le maître d’oeuvre cesse sont activité durant le délai des 10 ans ou si ses locaux venaient à brûler, il aurait été impossible au maître d’ouvrage de faire intervenir l’assureur d’une entreprise défaillante faute de preuve que la réception a bien été prononcée ;

 

2) autre cas rencontré, les PV sont également demeurés en mains du maître d'oeuvre mais ne sont pas signés par le maître de l’ouvrage, ce qui réduit à néant leur portée, notamment face à un assureur ;

 

3) de même, il a pu apparaître des PV dûment signés par le maître de l’ouvrage et les entreprises mais dont les copies sont différentes, des annotations supplémentaires étant manuscrites.

 

Si la calligraphie permet dans la plupart des cas de savoir qui a écrit l’ajout manuscrit, il est quasiment impossible de déterminer avec certitude si ce fut au cours ou postérieurement aux opérations de réception des travaux ; 

 

4) par ailleurs, dans certains dossiers, il a pu être relevé que les PV avaient été adressés directement par le maître d'oeuvre aux entreprises pour signature en dehors de toute présence sur l’ouvrage objet de la réception et sans consultation préalable du maître de l’ouvrage. 

 

En conclusion, il apparaît que les formes de la procédure de réception des travaux sont largement méconnues des maîtres d'oeuvre que ces derniers soient ou non architectes.

 

Il paraît donc utile de faire un point précis sur cet aspect objet de vif débat en expertise, d’un lourd contentieux suivi d’une abondante littérature jurisprudentielle.

 

En tout 1er lieu, il n’est pas inutile de rappeler que la réception peut être provoquée par la partie la plus diligente, le maître d’ouvrage mais également l’entrepreneur puisque l’article 1792-6 stipule :

  • elle [la réception] intervient à la demande de la partie la plus diligente. 

 

En cas d’intervention d’un maître d'oeuvre, généralement, ce dernier procède aux convocations des entreprises afin de les convier à la réception des travaux à une date convenue avec le maître de l’ouvrage.

 

A ce sujet, l’article 1792-6 précise :

  • elle [la réception] est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.

Mais à lui seul ce point mérite une attention particulière puisqu’il n’est pas rare de constater lors des opérations d’expertise que les convocations ont été faites, par exemple, par simples télécopies, sans en avoir conservé de récépissé, soit pire par appel téléphonique. 

 

La prudence incite le maître d'oeuvre à convoquer les entreprises pour une date et heure précises, au nom de son client, par envoi remis contre avis de réception postale. 

 

Par ce 1er acte, la réception sera prononcée quand bien même l’entrepreneur serait absent aux opérations de réception. 

 

En règle générale, notamment lors d’une mission complète, le maître d'oeuvre doit l’assistance à son client pour cette réception des travaux c'est-à-dire qu’il ne doit pas se contenter de donner les PV de réception à signer aux entreprises mais concrètement procéder à un inventaire précis des désordres visibles et conseiller à son client de les notifier sur le PV de réception. 

 

Ce PV, qu’il est conseillé, par souci de clarté, de rédiger lot par lot doit être aussi complet que précis. 

 

Au-delà des désordres nécessitant une reprise, cette dernière devra être techniquement détaillée et à la lecture du PV, intervenant souvent bien des années après sa rédaction, alors que les protagonistes ne sont plus les mêmes, aucun doute ne doit subsister sur la nature et l’étendue des reprises devant être effectuée. 

 

De même, le PV de réception des travaux assorti de réserves doit mentionner un délai d’exécution des reprises. 

 

Le même article, fondamental, 1792-6 du code civil est sans ambigüité :

  • les délais nécessaires à l'exécution des travaux de réparation sont fixés d'un commun accord par lemaître de l'ouvrage et l'entrepreneur concerné 

 

A défaut de précision, l’entrepreneur risque fort de ne pas venir terminer son ouvrage, tout en sachant que sur les réserves notées à la réception et non levées aucune garantie ne sera accordée par l’assureur de l’entrepreneur concerné ce qui pénalisera fortement le maître de l’ouvrage. 

 

En conséquence, seule la garantie contractuelle trouvera son application …. pour autant que l’entreprise existe toujours. 

 

Pour mémoire, on rappelle qu’il sera possible d’actionner la garantie de l’assureur D/O, selon les modalités prévues par l’article L 242-1 du code des assurances. 

 

Ainsi, pour le maître d'oeuvre, l’enjeu est de taille face à son rôle d’assistance au maître d’ouvrage à la réception des travaux puisque tout désordre qui aurait été visible et non consigné sur le PV pourrait être de nature à entraîner sa responsabilité. 

 

A l’issue de cette réception des travaux, deux scénarii se profilent : le PV fait ou non état de réserve. 

 

Si le PV ne fait pas état de réserves, le maître d’oeuvre peut classer et archiver son dossier. 

 

En revanche, si le PV fait mention de travaux de reprises à effectuer, le maître d’oeuvre devra prendre en charge le suivi des reprises afin d’engager une levée desdites réserves permettant ainsi aux assureurs éventuellement concernés ultérieurement et en cas de sinistre d’accorder leur garantie au regard du contrat souscrit. 

 

Alors, le maître d’oeuvre pourra procéder aux classement et archivage de son dossier.

 

Le 2ème acte de la réception des travaux consiste donc pour le maître d'oeuvre en la notification des PV aux entreprises, suivi, pour celles concernées, de la nécessité à faire procéder à la levée des éventuelles réserves. 

 

Lorsque l’entrepreneur était présent aux opérations d’expertise, et qu’il a accepté d’en signer le PV, une notification sous pli simple peut suffire surtout si la réception est pour son lot prononcée sans réserve.

 

Il en va différemment si l’entrepreneur était absent, particulièrement si des réserves ont été notées à l’encontre de sa prestation puisque dans ce cas là, il convient de s’assurer de la pleine connaissance par l’entrepreneur des dites réserves et délais. 

 

Dans ce cas, seul l’envoi remis contre avis de réception postale permettra de s’en garantir.

 

A partir de cet envoi, le maître d’oeuvre va pouvoir suivre les travaux de reprises en vue d’obtenir la levée des réserves. 

 

Si l’entreprise est défaillante, pour quelque raison que ce soit, dans ces travaux de reprise, l’article 1792-6 prévoit : 

  • en cas d'inexécution dans le délai fixé, les travaux peuvent, après mise en demeure restéeinfructueuse, être exécutés aux frais et risques de l'entrepreneur défaillant. 

 

Dans la pratique, à l’issue du délai de reprise notifié sur le PV de réception des travaux, il appartient au maître de l’ouvrage d’adresser une mise en demeure à l’entreprise défaillante en lui fixant une prorogation raisonnable du délai, non pas 48 heures mais de l’ordre de 15 jours. 

 

Si l’entreprise persiste dans une non-exécution des travaux préconisés ceux-ci pourront être confiés à une tierce entreprise. 

 

Le coût de cette intervention sera ensuite défalqué du solde dû au titre de la retenue de garantie, à l’entreprise titulaire du lot concerné. 

 

On le voit au travers de cette 1ère partie, l’acte de la réception des travaux est un moment fort de la vie d’une construction puisque cette réception met fin à la surveillance générale de l'entrepreneur sur le chantier, en transmettant la garde de l’ouvrage au maître d'ouvrage. 

 

Quelles en sont les conséquences ? 

 

1- La première hypothèse, la plus satisfaisante, est l’absence de réserves notées sur le procès verbal de réception en raison d’absence de désordres ou malfaçons visibles. 

 

La réception, dernier stade de l'exécution du marché, met alors fin à la responsabilité contractuelle de l'entrepreneur (Cass. 3e civ., 16 déc. 1987).

  

La date de la réception est le point de départ des garanties légales que sont :

    • la garantie de parfait achèvement d’une durée d’1 an (art. 1792-6 du code civil) ;
    • la garantie de bon fonctionnement, d’une durée de 2 ans (art. 1792-3 du code civil) ;
    • la garantie décennale dont la durée est de 10 ans (art. 1792-4-1 du code civil).

Si un contrat d’assurance est souscrit et en cours de validité (il est obligatoire pour la responsabilité décennale), l’assureur prendra en charge toutes les conséquences des vices cachés à la réception, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou le rendent impropre à sa destination. 

 

2- La seconde hypothèse est celle de la réception sans réserve malgré la présence de désordres visibles. 

 

Si le maître d’ouvrage accepte l’ouvrage sans réserve, il ne pourra plus se prévaloir par la suite de désordres apparents qu’il connaissait à la réception, et qu’il est réputé avoir accepté. 

 

Cette règle, très sévère à l’égard des maîtres de l’ouvrage, est cependant atténuée par les tribunaux puisque ces derniers considèrent que si le désordre existait, mais ne s’est révélé dans toute son ampleur et ses conséquences qu’après réception, le désordre doit être considéré comme caché, et donc, susceptible de faire l’objet d’une réclamation en justice. 

 

3- L’ouvrage peut enfin faire l’objet de réserves expresses. 

 

Dans ce cas, l’entreprise est tenue de reprendre son travail pour satisfaire son obligation de résultat et la garantie décennale n’est pas applicable. 

 

Toutefois, il est possible de faire condamner l’assureur à garantir l’artisan, en prouvant que les défauts notés lors de la réception se sont révélés par la suite dans toute leur ampleur. 

 

Dans ce cas, les tribunaux considèrent qu’il s’agit d’un vice dont la cause est cachée. 

 

4- La réception implicite (tacite) est possible, et se déduit de certains indices, tels que le paiement intégral du prix du marché ou la prise de possession de l’ouvrage.

 

Il est nécessaire de caractériser la volonté du maître de l'ouvrage de réceptionner l'installation, cette volonté devant être affirmée contradictoirement, c'est-à-dire en présence de l’entreprise. 

 

5- Dans certains cas, il est permis au maître de l’ouvrage de noter des réserves après la signature du procès verbal de réception, dans un certain délai et avec l’aide d’un technicien spécialisé (en matière de contrat de construction de maison individuelle ou de vente en l’état futur d’achèvement par exemple).

 

 

En dehors de ces situations spéciales, la signature du procès verbal fixe définitivement le cadre juridique du litige qui pourrait survenir. 

 

Lorsqu’il existe un désaccord ou qu’une partie refuse de réceptionner les travaux, la partie qui y a intérêt peut saisir le juge pour voir prononcer la réception judiciaire de l’ouvrage. 

 

Souvent, le litige sera résolu par la désignation d’un expert judiciaire, qui organisera des réunions au cours desquelles chacun, avec l’aide de son technicien et son avocat, fera valoir ses arguments. 

 

Le conseil le plus élémentaire est donc d’être particulièrement attentif lors de la rédaction du procès verbal de réception, qui devra être aussi précis et complet que possible.

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Texte rédigé à 4 mains, Me Etienne GROLEAU, Avocat à la Cour d’appel de Rennes, spécialiste droit de la construction e.groleau@avocatline.com et M. Jacques ARGAUD, Architecte – Expert de justice

 

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 Texte ayant fait l'objet d'une parution dans la revue l'Expert, n° de mai 2011

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